Le 15 juin 2017, la ministre responsable des Aînés et de la Lutte contre l’intimidation, Francine Charbonneau, a annoncé le lancement de la deuxième édition du Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes ainées. Le RCPMTA a discuté du nouveau plan d’action et du projet de loi rattaché avec Marie Beaulieu, Titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées.
RCPMTA: Ce nouveau Plan d’action est sorti le 15 juin 2017 pour la Journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes âgées, quelle a été la réception du public et des intervenants concernés?
Marie Beaulieu: Cela était un évènement attendu qui a été largement couvert par les médias anglophones et francophones. Une cinquantaine de partenaires non-gouvernementaux étaient aussi invités et présents, tels que l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), les chaires de recherche, l’Association québécoise des centres communautaires pour aînés (AQCCA), la Fédération des coopératives de services à domicile et de santé du Québec (FCSDSQ), et beaucoup d’autres. Les réactions ont été très positives, mais c’est parce que les acquis du premier PAM sont ressentis très clairement et que la direction du mouvement se précise. La première édition du plan, lancé en 2010-2015 (et reconduit jusqu’en 2017), impliquait 4 actions structurantes, et près de 40 mesures, pour aider à mettre en place une meilleure réponse coordonnée à la maltraitance des aînés. La structure est maintenant bien en place et maintenue, grâce aux piliers suivants:
- la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées,
- la ligne Aide Abus Aînés (dont les heures d’ouverture et les langues disponibles ont été étendues dans le 2ème PAM),
- des coordonnateurs régionaux
- l’importance maintenue des campagnes de sensibilisation
Le nouveau plan d’action approfondit ces efforts initiaux avec 52 mesures. Les points principaux du nouveau plan sont les suivants:
- Prévenir la maltraitance, mais aussi promouvoir la bientraitance
- Encourager le repérage précoce et les interventions appropriées
- Faciliter la divulgation des situations de maltraitance (particulièrement la maltraitance financière)
- Développer les connaissances et le transfert des savoirs
RCPMTA: Parlons du premier point, la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance. Pouvez-vous expliquer cette distinction?
MB: Oui, la promotion de la bientraitance est une notion qui se développe de plus en plus, la France a mis l’accent sur la bientraitance récemment, parmi d’autres pays. C’est un angle complémentaire à la prévention de la maltraitance. Promouvoir la bientraitance c’est ouvrir un sujet plus large et moins ardu. Il peut être difficile de recruter ou d’ouvrir une conversation au sujet de la maltraitance. Une approche focalisée sur la bientraitance peut aider à démarrer la conversation, qui mènera finalement à aborder la question de la maltraitance. Il faut voir ces deux aspects comme une combinaison d’approches. Il n’est pas question d’arrêter de former les gens à repérer la maltraitance. C’est plutôt l’intégration d’une approche citoyenne, respectueuse des singularités, moins âgiste. Le but n’est pas d’édulcorer la réalité, mais d’encourager le changement sociétal en profondeur, ce qui implique de renforcer la lutte contre l’âgisme et d’admettre la diversité des aînés et des approches possibles. Mais il est aussi toujours question de former les personnes à la détection précoce, à reconnaître les signes de la maltraitance et à connaître les étapes d’intervention appropriée. Pour moi, c’est une réflexion sur les deux volets, l’un ne peut pas remplacer l’autre, mais une combinaison des deux peut marcher.
RCPMTA: La deuxième grande ligne concerne l’encouragement du repérage précoce et les interventions appropriées. Qu’est ce que cela engendre pour les centres de soins et d’hébergement à long terme?
MB: Dans le premier PAM on parlait des nombreux milieux de vie, mais certains critiques avaient pointé du doigt que la maltraitance de type organisationnel ou systémique n’était pas reconnue. Il y avait, en effet, peu de choses faites au niveau de l’organisation des services à domiciles ou des centres d’hébergements. Dans le deuxième PAM, et surtout à travers le projet de loi no 115, il y a maintenant l’obligation pour les centres d’hébergement et de soins de longue durée de se doter d’une politique contre la maltraitance et de produire des rapports sur la situation au coeur des milieux d’hébergements.
Moyens de surveillance en milieux de résidence
Le nouveau plan d’action et le projet de loi no 115 encadrent aussi les conditions d’utilisation de moyens de surveillance tels que les caméras en milieux d'hébergement. Un milieu d'hébergement ne peut pas refuser des caméras, les caméras ne peuvent pas être installées dans les zones publiques. Il est aussi important de protéger l’intimité d’une personne âgée, donc de savoir comment placer une caméra dans une chambre.
Terminologie
La terminologie a aussi été révisée (voir p 17-18 du Plan): on a maintenant identifié 7 formes de violence, 7 formes de négligence. Cela veut dire qu’il y a maintenant 14 scénarios possibles, pour lesquels le plan d'action fournit les indices. Familiariser les gens à ces indices, c’est un pas de plus dans la bonne direction pour investiguer. Distinguer la violence et la négligence, clarifier les indices, pour moi cela signifie que le Québec avance clairement dans la bonne direction. Le ministère de la Santé et des Services Sociaux, qui est cosignataire du nouveau plan, a été profondément impliqué dans la reconnaissance de la maltraitance organisationnelle et cela représente aussi un pas concret majeur.
Approches intersectorielles
Un des objectifs est de ''soutenir le développement et la mise sur pied d’ententes multisectorielles ou d’autres mécanismes d’intervention et de concertation visant à aider et à accompagner les personnes aînées maltraitées et les différents intervenants''. L’intervention coordonnée et intersectorielle est un angle que la Chaire avait déjà commencé à explorer avec le développement de la trousse IPAM avec le Service de police de la Ville de Montréal. Cette ressource a été largement partagée et nous sommes donc heureux de voir que cet objectif d’intervention intersectorielle est une priorité.
RCPMTA: Qu’en est-il du troisième point - Faciliter la divulgation des situations de maltraitance (particulièrement la maltraitance financière)?
MB: Ceci est aussi particulièrement relié au projet de loi 115 qui vise à renforcer le signalement et le rôle du Commissaire aux plaintes. Cette approche implique l’obligation de signalement et la levée du secret professionnel pour certaines professions, sauf pour les avocats et notaires. Ceci dit, l’obligation est plus d’ordre moral que légal. Il n’existe pas de pénalité identifiée clairement à défaut de signaler, nous verrons donc ce que cela donne à l’usage.
Il n’y a pas d’obligation pour les résidences (milieux d’hébergement) de type familial ou intermédiaire. Le signalement devient par contre obligatoire en CHSLD et pour toute personne sous régime de protection tel que tutelle ou mandat de protection qui a été homologué. Ceci a pour but de protéger tout particulièrement les personnes âgées en grande perte d'autonomie fonctionnelle, qui ne sont pas toujours capables de signaler par manque de capacité ou peur des représailles.
J’ai généralement tendance à favoriser l’éducation, la responsabilisation et surtout la primauté au droit de parole des aînés, mais l’obligation de signalement est pour les centres d’hébergement de longue durée où se trouvent généralement des gens en très grande perte d’autonomie, avec jusqu’à 80% des résidents souffrant d’atteintes cognitives profondes ou d’atteintes physiques, ou bien sous régime de protection car déclarés inaptes. Dans ce contexte, le signalement obligatoire est pour des gens qui, objectivement, ne sont plus capables de le faire eux mêmes.
Maltraitance matérielle et financière
Cette forme de maltraitance est parmi les plus répandues et discutées. L’Autorité des marchés financiers est impliquée dans le Plan d’action. Il faudra voir à la pratique ce que cela donnera. Ce qui est intéressant, c’est que chaque mesure sera évaluée en continu. C’est à l’évaluation que l’on verra vraiment ce qui a été bien implanté et comment apporter les corrections nécessaires.
RCPMTA: La quatrième grande ligne, le développement des connaissances et le transfert des savoirs, vous concerne le plus directement en tant que titulaire de la Chaire de Recherche sur la maltraitance envers les personnes ainées. Qu’est ce qui se profile à l’horizon?
MB:Tout d’abord, le plan d’action garantit la reconduction du soutien gouvernemental envers la Chaire, ce qui est important pour nous. La Chaire de Recherche sur la maltraitance envers les personnes ainées de Sherbrooke est, selon l’INPEA, la seule chaire de recherche au monde sur le sujet. Le Québec continue à être novateur, ce qui est fantastique.
Le développement des connaissances sur la maltraitance et la bientraitance des ainés est adressé par 8 nouvelles recommandations. L’accent est aussi mis sur le développement et la diffusion des connaissances sur la façon dont est vécue la maltraitance dans les minorités ethno-culturelles, LGBTQ, autochtones, handicapées ou inaptes. Cela est extraordinaire, parce que l’on cible les connaissances plus précises sur les groupes minoritaires avec 4 recommandations spécifiques. Ces groupes étaient identifiés dans le premier PAM comme des groupes pouvant présenter une plus grande vulnérabilité, mais maintenant ils font l'objet de mesures spécifiques. La Chaire envisage d’ailleurs de proposer un projet de recherche futur avec la Fondation Émergence au sujet des ainées LGBTQ.
L’autre bonne nouvelle est que le Québec va mener sa propre étude de prévalence sur la maltraitance envers les personnes aînées entre 2017 et 2020, ce qui est très excitant. Nous aurons bientôt et pour la première fois des données approfondies sur le Québec.
Retrouvez le Plan d’action au complet. (Le PAM n’est disponible qu’en français pour l’instant)