Entrevue avec Marie Beaulieu
Les résidences privées pour aînés sont une option de logement de plus en plus populaire au Québec : près de 18% des aînés québécois vivent en résidence, un chiffre beaucoup plus élevé que dans le reste du pays. Le Québec est aussi la province qui vieillit le plus vite: en 2031, 26% de la population Québécoise sera âgé de 65 ans et plus. D’autre part, il existe peu de recherche sur la question de l’intimidation entre aînés. C’est pour cela que la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées entame un nouveau projet de recherche-action sur trois ans intitulé Programme de promotion du « bien vivre ensemble » et de lutte contre la maltraitance entre résidents : Améliorer la vie collective en résidence privée pour aînés. Marie Beaulieu a pris quelques minutes pour nous parler de ce nouveau projet.
Les origines:
Une corporation de résidence privée a récemment identifié un certain nombre d'enjeux dans les interactions entre des personnes âgées dans leurs milieux de vie. Chartwell a exprimé une intention de travailler pour améliorer la vie collective donc nous leur avons proposé de monter ensemble un projet recherche-action (financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada).
Nous avons commencé par un ‘petit projet’ sur un an : un premier état des lieux, basé sur des groupes de discussion avec des aînés, des membres du personnel et de la direction de résidences. Le travail s’est focalisé sur deux aspects : la lutte contre la maltraitance et l'intimidation et la promotion de la bientraitance. Il en est sorti un rapport synthèse à l’été 2019, qui est disponible sur notre site internet (en français et en anglais). C'est vraiment une première phase d'étude des besoins qui ont émergé après des rencontres en groupes.
Ce qu’on a retiré de ces conversations, entre autres, c’est qu’il y a plus de choses qui vont bien que de choses qui ne vont pas dans le cadre des ces résidences. Le bilan est plutôt positif mais peut toujours être mieux. Lorsque les personnes aînées nous ont parlé des choses qui n’allaient pas, il en est ressorti d’emblée que le langage est très important et que le langage qu’on utilisait ne leur convenait pas, que ces personnes manquaient de mots pour décrire ce qui n’allait pas avec les bonnes nuances. Par exemple, les mots maltraitance et intimidation étaient perçus comme trop négatifs, et les personnes étaient plus à l’aise d’utiliser le terme intolérance. De même, le terme bientraitance était associé à la notion de traitement, et paraissait trop biomédical. Les participants ont demandé de parler de bienveillance. Dans la recherche-action, le travail commence vraiment avec le vocabulaire. Si les personnes ne reconnaissent pas leur expérience et ne peuvent pas la nommer de façon adéquate, cela ne peut pas fonctionner.
Le projet
Après ce premier projet, nous avons poursuivi et obtenu le financement pour un deuxième projet plus long. Nous sommes dans la première année d’un projet de trois ans. Dès l’obtention imminente du certificat éthique complet, on va commencer par la collecte de données auprès de personnes âgées qui ont été la cible d’intolérance, mais aussi auprès d’une variété d’intervenants, y compris des intervenants extérieurs (police, massothérapeutes etc), et de représentants de direction. Les entrevues sont plus personnelles, et ne se font donc plus en groupe. Dès la première année ont se met dans une perspective de changement planifié: nous allons créer un groupe de travail pour monter un programme d'intervention qui va être développé à partir des résultats du premier projet et de ces collectes individuelles.
Dans la deuxième année, on va arriver à un programme d’intervention que l’on va implanter, mesurer, bonifier, puis, pendant la troisième année du projet, diffuser dans différents types de milieux. Donc on est dans une vraie recherche-action où il y a une partie créativité, programmation, intervention et évaluation, et ou les aînés eux-mêmes ont une part importante.
À ce stade du travail, nous réalisons que les milieux de vie collectifs sont des milieux dans lesquels une adaptation doit se faire : certaines personnes n’ont jamais vécu en collectivité de leur vie, elles ont quitté leur milieu familial pour se marier, et jusqu’à ce que le ‘nid familial’ se vide, et jusqu’à la décision de s’installer en résidence, elles n’ont jamais habité avec d’autres personnes. L'apprentissage de la vie collective est quelque chose de complètement neuf avec tous les défis que cela peut poser. Une fois de plus, l’accueil, le contexte offert, le langage nécessaire pour nommer les choses sont très importants. On a commencé à identifier 3 lieux ou circonstances qui sont plus propices à des manifestations d’intolérance :
- la salle à manger: même si les tables et les places ne sont pas assignées, les résidents occupent l'espace et peuvent former des groupes ou exclure certains résidents, qui finissent par se décourager.
- Certaines activités de loisirs, en particulier celles qui incitent à une certaine compétition. On ne veut pas jouer à la pétanque ou au bridge avec quelqu’un parce que cette personne n’est pas très douée ou ne comprend pas les règles.
- Le troisième lieu sont les ascenseurs à l’heure de pointe. Les résidences privées sont souvent bâties sur plusieurs étages. Lorsque tout le monde essaye de descendre pour aller manger, par exemple, c’est là que des situations se présentent. Les gens qui ont des déambulateurs, par exemple, ne sont pas toujours bienvenus, ou, dans un cas inverse, on voit parfois des personnes avec des déambulateurs qui sont désagréables avec les autres.
Tout ce travail va permettre de démystifier la vie collective, de reconnaître qu’il y a du chemin à faire et les gens nous ont donné plusieurs perspectives. On veut parler des interactions entre les résidents mais quand on parle avec certains intervenants, on réalise qu’ eux aussi peuvent être la cible de méthodes d’intimidation ou de malveillance de la part de certains aînés. Je pense que l’on va travailler sur des cultures de milieu.
Le programme inclura des activités qui permettront de nommer ce qui ne va pas, des activités de promotion de ce qui va, et plusieurs activités différentes pour rejoindre différents publics. Il faut trouver des stratégies pour avoir des modes inclusifs (que ce soit pour les langues, communautés culturelles, minorités sexuelles etc.) La mixité des clientèles, cela veut dire aussi comprendre le vieillissement pour répondre à ses manifestations pathologiques telles que le premier stade de perte cognitive, ou la perte de mobilité par exemple. Il y a probablement un besoin d’éducation globale sur toutes les facettes du vieillissement, et ensuite un travail sur l’intimidation et l’intolérance et la bienveillance qui va devoir se faire.